Vanoli et sa mystérieuse comète
La comète est l'histoire d'une bande de Philippulus qui nous prédisent la fin du monde. Et nous n'avons que ce que nous méritons. C'est l'heure du châtiment populaire. Le peuple est dans la rue. Les différents points stratégiques du pouvoir comme le palais présidentiel ou les studios de télévision seront bientôt sous contrôle au moment même où une comète se rapproche inéxorablement.
La référence hergéenne est évidente. Réalisée en 1942, "l'Étoile Mystérieuse" caractérise la première incursion de la série Tintin dans le fantastique. Benoit PEETERS écrit à ce sujet:"Ne pouvant choisir ses sujets dans l'actualité sans tomber sous le coup de la censure(...) la fin du monde évoquée dans les premiéres pages est une assez claire métaphore de la situation de l'Europe en cette année difficile entre toutes". Si les premiéres pages de "l'Étoile Mystérieuse sont par leur force imprégnées dans nos mémoires, leur suite résulte de choix narratifs prédéfinis par la série et déterminés par la puissance des censeurs de l'époque: une aventure nautique, course poursuite pour faire triompher la recherche scientifique sur la multinationale.
Dans cette annonce de fin du monde, beaucoup de questions restent
sans réponses. Les partis pris laissent sous silence le
comportement de l'homme face à l'inéluctable mais
aussi à l'irréparable. Ces prédictions ne
résonnent-elles pas comme autant d'accusations? Quelles
fautes l'homme doit-il expier? Dans cette apocalypse annoncée,
que font les politiques?
Ironiquement, le récit de La Comète s'inscrit dans
le vide du récit d'Hergé. Le président ne
demande-t-il pas:"La comète qui va s'abattre sur la
terre sera t-elle du type de ce vieux fragment innofensif tombé
il y a longtemps?"(planche 33).Là où l'auteur
de Tintin ne pouvait faire qu'une métaphore, Vanoli axe
son récit autour sur la dimension politique de cette fin
du monde. La menace céleste se double d'une menace révolutionnaire.
Les Philippulus sont légion et incarnent une bande d'anars
prêts au coup de force pour mettre fin à l'aliénation
par le grand capital et par l'État.
Le chef de cette bande de putschistes ressemble au collaborateur
de l'astonome Hippoythe Calys. Comme lui, ce personnage qui se
fait appeler colonel annonce la trajectoire de l'astre et se trompera.
La comète se substitue et perd son qualifiant pour donner
un titre plus anonyme, moins référencé.
Mais le livre de Vincent Vanoli ne se limite pas à cette
référence Hergéenne. Si elle fait partie
du contexte, tout le livre de la Comète remet en question
tous les codes de la bande-dessinée franco-belge.
Graphiquement tout d'abord,de maniére évidente.
Les images de Vanoli sont dessinées sur le noir et sont
imprégnées par l'expressionnisme associé
à l'ironie d'un ALTAN par exemple. Ces images tirent pleinement
profit de la luminositré du noir dont l'impression soignée
du livre rend compte fidélement.
Le trait blanc ne s'inscrit pas en réserve dans cette masse
noire de la case mais est bien tracé dans le mouvement,
sur la matiére même, animant la surface avec énergie
de traits dans toutes les nuances de gris jusqu'au blanc.
Vanoli joue ainsi sur la profondeur de la case et module la mise
en avant de ses personnages.
La recherche d'un point d'équilibre entre ces différentes
zones de noir est l'enjeu de chaque case, de chaque planche et
de chaque double page. Le dessin s'est épuré. Les
traits sont moins nombreux que lors de ses précédents
récits. Le noir peut ainsi pleinement rythmer l'histoire,
dense dans les séquences d'intérieur, s'effaçant
quelque peu dans le blanc pour les 3 scènes de rue.
Mais le noir n'est pas seulement un enjeu esthétique. Il
est aussi la couleur du mouvement anar qui s'opposera directement
dans l'album à l'univers laiteux du bunker présidentiel,
symbole d'un des plus odieux priviléges.
La Comète contraste avec les récits hergéens
par sa dimension politique; Là où Hergé transforme
son récit, passant d'une collision évitée
avec l'astre à une recherche de ses restes,
Vanoli approfondit le sien et choisit cet instant précis
pour évoquer les affres de la condition humaine qui se
révèlent si tragiquement dans ces moments ultimes.
Cette politique que Hergé a toujours contenue, Vanoli en
fait le corps de son récit avec beaucoup d'habileté.
Cette histoire nest pas un exposé ou un traité révolutionnaire
ou une évangélisation anarchiste mais une dénonciation
des politiciens.
Ces différents personnages de la scène politique
dressent un constat, celui de notre fin de siécle. les
anarchistes ont pris la place des communistes à la tête
de la contestation. Ces derniers ne se remettent pas de la disparition
du bloc soviétique.L'État est symbolisé par
un gouvernement corrompu qui adresse un perpétuel discours
de façade au peuple. Le présidente est armé
de conseillers prépondérants dans les décisions
comme un certain docteur Bronstein, dans la lignée du docteur
Folamour de KUBRICK.
Par leur égale importance, les différentes idéologies
s'annihillent entre elles. Chacune révèlant ses
contradictions au moment des passages à l'acte montrant
ainsi les limites du discours. Vincent Vanoli ne vend pas de recettes
idéologiques miracles mais renvoie les politiciens à
leurs querelles de pouvoir.
Malgré ce moment critique d'une révolution annoncée, prolétaire ou céleste, Vanoli joue sur son issue incertaine sur tout son livre. Les violences de la rue sont montrées par deux séquences d'images plein cadre de 7 à 8 pages chacune également située dans le récit. Une derniére scène d'extérieur, plus courte, précède l'épilogue. La répression policiére est présentée dans toute son horreur dans la premiére séquence. La seconde évoque l'affolement populaire devant l'arrivée de la comète, affolement absent de la version d'Hergé.
Mais le récit reste centré sur cette dénonciation
du politique.
Les politiciens ne sont pas les acteurs de la rue. Ils reçoivent
les informations sans réaliser le cynisme de leur propos.Des
greniers révolutionnaires, on observe la révolte
populaire, la riposte à l'émeute est dirigée
depuis le cabinet présidentiel. le monde de la politique
et celui de la réalité sont ainsi bien distincts.
Par ce trés astucieux découpage tout est dévoilé:
le décalage vertigineux entre le discours et la réalité,
entre les promesses et les résultats. Pour accentuer encore
ce fossé, la plupart des évènements de la
rue ne sont que rapportés. Le dialogue prend ainsi une
place prépondérante puisqu'il rend compte d'évènements
que l'on ne voit pas. Les réactions de ces personnages
politiciens évoquant les morts de la rue avec un tel dégagement
nous renvoie à l'absence de ripostes de la communauté
internationale devant les morts bosniaques. Les réunions
se succédaient, aucune intervention n'était votées
et les snipers continuaient de tuer.Le récit touche
juste et fort.
L'intention est périlleuse car l'image devant cette puissance
des dialogue, ne pouvait être qu'illustrative, mais sa forme
noir et blanc, ses personnages au nez tire-bouchonné à
la ALTAN, renforce cette sensation de déchéance
exprimée par ce décalage entre politique et réalité.
De ce que nous avons vu, par exempledu conflit bosniaque à
travers les média, Vanoli nous en montre l'opposé,
le cynisme des politiciens à leur table, impassibles.
La réussite de La Comète est aussi due au recul que Vincent vanoli prend avec l'époque. Elle reste en filigrane dans le récit. Seuls quelques évènements font référence à travers les dialogues et assurent la modernité des propos. On situe l'action quelque part en Europe de l'Est à la consonance des patronymes, en Russie peut-être, sa révolution ayant marqué ce siécle. Mais cela indistinctement dans l'époque. Cette intemporalité renforce l'efficacité des dialogues car leur lecture n'est pas polluée par une nécessaire justesse de références à une époque ou à un lieu comme c'est le cas dans une bande dessinée réaliste. "La Comète" rejoint par son intemporalité"l'Étoile Mystérieuse".
Si le livre reste discret par sa présentation, petit
format sans tape à l'oeil, ce roman graphique,
le plus maîtrisé de Vincent Vanoli, prouve une fois
de plus que la bande dessinée bénéficie,
en dehors des codes hergéens, d'un formidable champ créatif,
tant graphique que narratif.
Bruno Canard, in L'Indispensable, juin 1998.